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Photo : Bénédicte Kurzen pour la Fondation Carmignac
Photo : Bénédicte Kurzen pour la Fondation Carmignac
Lauréats

Anas Aremeyaw Anas, Muntaka Chasant & Bénédicte Kurzen

La 13e édition du Prix Carmignac du photojournalisme est consacrée au Ghana et aux défis écologiques et humains liés aux flux transfrontaliers des déchets électroniques. Le Prix a été attribué à une équipe composée du journaliste d’investigation anti-corruption et activiste Anas Aremeyaw Anas et des photojournalistes Muntaka Chasant et Bénédicte Kurzen (NOOR).

Timber Market, Accra, Ghana, 16 février 2023.
Timber Market, Accra, Ghana, 16 février 2023.
Ali, un ferrailleur, utilise un aimant pour caisson de basse afin de récupérer les débris métalliques enfouis sous le sol à la suite d’un incendie qui a rasé des centaines de cabanes en bois dans un quartier informel près de Timber Market, en face d’Old Fadama. Des dizaines de ramasseurs se sont précipités à la recherche de débris après l’incendie. © Muntaka Chasant pour la Fondation Carmignac

62 millions de tonnes : c’est le volume de déchets électriques et électroniques - produits en fin de cycle fonctionnant sur batterie ou sur secteur, communément appelés « e-waste » – généré dans le monde en 2022, selon le dernier Global E-Waste Monitor Report publié par les Nations unies*.

Le nombre de smartphones, montres connectées, écrans plats, ordinateurs et tablettes à être jetés ne cesse d’augmenter (+82% d'augmentation depuis 2010), constituant l’une des principales sources de déchets au monde, mais aussi la plus précieuse (contenant des métaux précieux tels que l’or, l’argent et les métaux du groupe du platine). Selon l’étude, si cette tendance persiste et faute de solutions durables de recyclage ou de réparation, les rebuts électroniques mondiaux représenteront 82 millions de tonnes d’ici 2030. En 2022, sur les 62millions de tonnes d’e-waste, seulement 22,3% ont été collectées et recyclées dans une filière dédiée.

Après avoir longtemps envahi l’Asie (Russie, Inde, Chine…), l’e-waste venu d’Europe et des États-Unis se déverse aujourd’hui en quantités industrielles et en violation des traités internationaux dans les ports de pays d’Afrique de l’Ouest, dont le Ghana. Exemplaire pour sa stabilité politique et son respect du multipartisme, le Ghana fait ainsi face à la prolifération de décharges informelles à ciel ouvert, plus proches encore des habitations que la grande déchetterie d’Agbogbloshie, démantelée en juillet 2021.

C’est dans ce contexte qu’a démarré l’enquête d’Anas Aremeyaw Anas, Muntaka Chasant et Bénédicte Kurzen, lauréats de la 13e édition du Prix Carmignac du photojournalisme, qui mêle photographie, vidéo, enregistrements audios et reportage écrit. S’éloignant du traitement dramatique souvent employé par les médias pour dépeindre le Ghana comme « la poubelle du monde », ils ont documenté pendant six mois un écosystème terriblement ambigu et complexe. Combinant une approche nationale et internationale, le trio a étudié les ramifications du trafic d’e-waste entre l’Europe et le Ghana, révélant l’opacité de ce circuit mondialisé.

En explorant le monde complexe des produits électroniques d’occasion au Ghana et en Europe, Bénédicte Kurzen a documenté les flux de déchets électroniques et les communautés qui les activent, remettant en question les stéréotypes négatifs sur les exportateurs et mettant en évidence l’inefficacité de la bureaucratie européenne en matière de déchets électroniques. À l’autre bout de la chaîne, à Accra, capitale du Ghana, le chercheur et photographe documentaire Muntaka Chasant s’est plongé dans une étude sociologique de cette économie, dont dépendent de nombreuses communautés. Il analyse avec précision les groupes sociaux associés à l’exploitation d’e-waste, dévoilant une organisation hiérarchisée et les mécanismes d’un flux migratoire venu du nord-est du Ghana. Avec son équipe, Anas Aremeyaw Anas s’est quant à lui infiltré dans les ports d’Accra pour pister les flux légaux et illégaux d’e-waste. Opérant clandestinement, et à l’aide de traqueurs implantés dans des déchets illégaux, il éclaire les stratégies et la corruption organisée pour contourner les lois, en Europe comme au Ghana.

* L’Institut des Nations Unies pour la formation et la recherche (UNITAR) et l’Union internationale destélécommunications (UIT) ont uni leurs forces dans le cadre du Global E-Waste Statistics Partnership (GESP) pour publier le Global E-Waste Monitor 2024, avec le soutien de la Fondation Carmignac.

Quelques images du reportage

© Bénédicte Kurzen (NOOR) pour la Fondation Carmignac
© Bénédicte Kurzen (NOOR) pour la Fondation Carmignac
Hambourg est l’une des principales places de marché pour les appareils électriques et électroniques usagés. Tous les vendredis et samedis, toute la nuit, une foule d’Africains, d’Allemands, de Maghrébins, de Roms et d’autres se presse au marché aux puces de Bahrenfelder Trabrennbahn pour y vendre, acheter et échanger de petites quantités d’objets qui viendront compléter les chargements plus importants de produits électroniques en conteneurs. Les marchés aux puces sont les lieux traditionnels de ce commerce, même si Internet devient un forum toujours plus populaire.
© Muntaka Chasant pour la Fondation Carmignac
© Muntaka Chasant pour la Fondation Carmignac
Simon Aniah, 24 ans, brûleur, fait partie des centaines de jeunes gens qui ont migré de Vea, dans le Haut Ghana oriental, pour travailler dans les déchets électroniques à Accra et s’élever socialement. Leur région d’origine affiche le taux de chômage le plus élevé du Ghana parmi les 15-24 ans.
© Muntaka Chasant pour la Fondation Carmignac
© Muntaka Chasant pour la Fondation Carmignac
Près du bidonville de Old Fadama à Accra, de jeunes hommes extraient des matières premières secondaires de matériels électroniques en fin de vie, circuits imprimés d’équipements électroniques et de téléphones mobiles, processeurs, barrettes mémoires, aimants néodymes et autres composants contenant des métaux rares et précieux. Une partie est exportée depuis le Ghana pour être récupérée.
© Muntaka Chasant pour la Fondation Carmignac
© Muntaka Chasant pour la Fondation Carmignac
Près du bidonville de Old Fadama à Accra, de jeunes hommes extraient des matières premières secondaires de matériels électroniques en fin de vie, circuits imprimés d’équipements électroniques et de téléphones mobiles, processeurs, barrettes mémoires, aimants néodymes et autres composants contenant des métaux rares et précieux. Une partie est exportée depuis le Ghana pour être récupérée.
© Muntaka Chasant pour la Fondation Carmignac
© Muntaka Chasant pour la Fondation Carmignac
En juillet 2021, le gouvernement ghanéen a fait raser la casse d’Agbogbloshie, plus grand site de recyclage informel de déchets électroniques du Ghana, ce qui a entraîné le déplacement de milliers de travailleurs, pour la plupart issus du nord du pays. Le traitement des déchets, devenu clandestin, s’est alors rapproché des lieux d’habitation comme Old Fadama, bidonville situé en face de l’ancienne casse.
© Bénédicte Kurzen (NOOR) pour la Fondation Carmignac
© Bénédicte Kurzen (NOOR) pour la Fondation Carmignac
Zongo Lane est une caverne d’Ali Baba. Cette rue étroite d’un vieux quartier d’Accra est peuplée de centaines d’échoppes. S’y trouvent des réparateurs et, souvent, des vendeurs de pièces détachées. Ici, les appareils électriques sont désossés et réutilisés. Ghanéens et Nigérians y travaillent. L’endroit servait aussi de place de marché pour les D3E venus d’Europe, mais, vu l’étroitesse de la rue, il n’était pas possible de se garer et de décharger des conteneurs sans bloquer la circulation. En Europe, les réparateurs indépendants ont quasiment disparu, mais ici, un système économique complet dépend de cet artisanat.
© Bénédicte Kurzen (NOOR) pour la Fondation Carmignac
© Bénédicte Kurzen (NOOR) pour la Fondation Carmignac
Lapaz est le quartier d’Accra où des conteneurs déversent des appareillages électriques et électroniques importés du monde entier, essentiellement par des hommes d’affaires ghanéens. Les écrans de télévision sont les articles les plus courants et les plus populaires. Il est fréquent que des familles entières participent à cette activité, depuis Ghana ou depuis l’étranger, en remplissant des conteneurs de déchets d’équipements électriques et électroniques, sélectionnés selon les demandes du marché.
© Muntaka Chasant pour la Fondation Carmignac
© Muntaka Chasant pour la Fondation Carmignac
Les déchets électroniques offrent de nombreuses opportunités aux ateliers de réparations et de pièces détachées. Dans Old Fadama, des réparateurs informels ont appris à adapter des équipements en fin de vie à de nouveaux usages. Comme par exemple intégrer les moteurs électriques de vieux climatiseurs et réfrigérateurs à des ventilateurs de plafond.
Anas Aremeyaw Anas | Photo : Muntaka Chasant

À PROPOS DE ANAS AREMEYAW ANAS

Anas Aremeyaw Anas (Ghana, 1978) est directeur général du cabinet d’investigation Tiger Eye et leader de l’ONG Tiger Eye Foundation. Tiger Eye a effectué des missions d’infiltration pour de nombreuses entreprises nationales et internationales, au Ghana comme à l’étranger. Journaliste d’investigation, avocat et militant anti-corruption expérimenté et reconnu dans le monde entier, il s’introduit incognito dans des asiles, des bordels, des prisons, des orphelinats et des villages où il réunit des preuves alimentant ses reportages percutants et présentées ensuite aux autorités pour qu’elles poursuivent les personnes mises en cause. Ses travaux ont eu un impact considérable dans de nombreux secteurs, dont le système judiciaire ghanéen, les forces de l’ordre, le sport professionnel, le système de protection de l’enfance et les services de santé mentale. Régulièrement cité par de grands médias comme la BBC, CNN ou Al Jazeera, il a reçu les félicitations de personnalités internationales comme Barack Obama, Kofi Annan, Desmond Tutu ou Bill Gates.

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Portrait : Muntaka Chasant

Muntaka Chasant | Photo : Gérald Anderson

À PROPOS DE MUNTAKA CHASANT

Muntaka Chasant (Ghana, 1985), photographe documentaire et chercheur indépendant, s’intéresse depuis longtemps aux thématiques associant géographie humaine et sociologie environnementale. Depuis plus de dix ans, il opère à la croisée de l’environnement et de la mobilité humaine. Ses recherches ethnographiques sur le terrain ont porté sur la géographie des matériaux de rebut, la marginalité urbaine et les crises écologiques émergentes, notamment le changement climatique, la perte de biodiversité et la pollution. Ses travaux ont été publiés dans des revues universitaires, des magazines et des journaux du monde entier. Contestant les représentations conventionnelles des zones de conflits environnementaux, il propose d’autres formes de production de connaissances géographiques en repensant la manière dont nous imaginons et médiatisons les souffrances vécues loin de nous. Diplômé en relations internationales, il défend les personnes et les communautés impliquées dans des luttes sociales locales et globales par nature. Réfléchissant aussi sur la mémoire et le futur, il se sert des tensions entre souvenir et oubli et de l’imbrication de la mémoire et de l’identité pour tisser des récits d’avenirs possibles.

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Portrait : Gerald Anderson

Bénédicte Kurzen | Photo : Robin Maddock

À PROPOS DE BENEDICTE KURZEN

Bénédicte Kurzen (France, 1980) travaille sur les histoires et les mythologies interculturelles, ouvrant la voie à de possibles redéfinitions des concepts et des représentations sociales. Sa photographie combine des éléments documentaires avec un langage visuel métaphorique très construit et des pratiques collaboratives. Elle a commencé sa carrière en 2003 au Moyen-Orient, couvrant l’actualité au Liban, en Palestine et en Irak, avant de s’installer en Afrique où elle a vécu et produit un travail important sur les changements sociaux et les tensions en Afrique du Sud (2005-2011) et au Nigéria (2011-2023). Depuis 2018, elle a approfondi ses recherches sur les mythologies au Nigéria et en Chine, en se concentrant sur les cosmologies jumelles et en documentant la persistance des anciennes croyances à Mayotte. Publiée dans le monde entier au cours des vingt dernières années, elle a reçu de nombreuses distinctions, notamment une invitation à la prestigieuse World Press Joop Swart Masterclass (2008), des bourses du Pulitzer Center on Crisis Reporting et de l’European Journalism Centre (2012, 2017), et une nomination au Visa d’Or pour son travail sur le Nigéria (2012). Associée de NOOR Images et membre de The Photo Society. elle a remporté un prix World Press Photo en 2019.

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Portrait : Robin Maddock

JURY DE LA 13e EDITION DU PRIX CARMIGNAC DU PHOTOJOURNALISME

  • Dr Kees Baldé Senior Scientific Specialist, United Nations Institute for Training and Research (UNITAR)

  • Fabiola Ferrero Photojournalist, laureate of the 12th edition of the Carmignac Photojournalism Award

  • Vera Kwakofi Senior Commissioning Editor, Africa TV, BBC World Service.

  • Lars Lindemann Independent curator

  • Azu Nwagbogu Independant curator, Director and Founder of African Artists’ Foundation and Lagos Photo Festival

  • Alona Pardo Curator, Head of Programmes, Arts Council Collection, UK

PRE-JURY

  • Fiona Shields Head of Photography, The Guardian

  • Mikko Takkunen Photo Editor International, The New York Times

  • Marta Weiss Senior Curator, Photography Victoria & Albert Museum

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